"La grève
est un chantage "
L'Humanité,
France, 24 décembre 2002
Carlos Pino est dirigeant politique et syndical, au sein du Front des travailleurs
bolivariens (FTB). Bien que vivant actuellement à Bogota il reste impliqué
dans le soutien au gouvernement Chavez. Au terme d'un séjour en France,
il a accepté de répondre aux questions de l'Humanité.
Comment analysez-vous la crise actuelle à Caracas ?
Carlos Pino. Ce sont les vieilles classes dirigeantes qui ont détenu
le pouvoir pendant quarante ans qui sortent du scénario actuel. En 1958,
il y a eu ce qu'on a appelé le pacte " Punto Fijo " signé à
New York, accord liant entre autres l'Action démocratique (social-démocrate)
et la COPEI (démocrate-chrétien). C'était une alliance entre
l'oligarchie, le monde des affaires et les intérêts américains.
Aujourd'hui, la tradition, qui sous-tend ce pacte, a été cassée
du fait du mouvement initié par Chavez. Mais ces acteurs sont, là,
clairement identifiés aux intérêts nord-américains. Ce n'est
pas un hasard d'ailleurs si la crise se cristallise autour de l'industrie pétrolière
et, avec elle, les cadres de PDVSA, holding public Petroleos de Venezuela SA.
Ses dirigeants ont lancé la grève. C'est un chantage fait au gouvernement
Chavez. Ils en appellent à l'intervention extérieure, car ils savent
très bien qu'à l'intérieur ils n'ont pas d'appui dans la
population.
Tout de même, les manifestations de l'opposition de droite sont massives...
Carlos Pino. Oui c'est vrai. Mais la grève lancée n'a
pas affaibli la popularité du gouvernement Chavez. La grande partie de
ces opposants, dont les membres de l'ancienne classe dirigeante, les patrons et
propriétaires des médias font appelle en permanence à une
issue violente au conflit. Il est clair qu'ils ne respectent pas la Constitution
votée à la fin d'un processus démocratique et fixant de nouvelles
règles pour le pays. Surtout, ils ne pardonnent pas à Chavez la
mise en place d'un processus politique visant à reconstruire un pays en
état de désolation et de frustration, ce sont eux qui ont laissé
un fort taux de chômage, la misère et la pauvreté.
Quel est le rôle exact du syndicat CTV, la Confédération
des travailleurs vénézuéliens ?
Carlos Pino. Il est la source de l'officialisme des gouvernements antérieurs.
Sa pratique était de négocier les intérêts des travailleurs
en s'enrichissant et en marchandant les conflits. C'est un syndicat de corrompus.
La conjonction CTV-Fedecamaras, la fédération patronale a entraîné
l'appel au boycott du gouvernement. Ce sont les mêmes qui ont participé
au coup d'Etat d'avril dernier où au cours d'une seule journée,
ils ont montré leur véritable visage : abolition de la Constitution,
révocation des fonctionnaires dans les représentations populaires
etc. Ces " démocrates ", qui entendaient rompre le fil constitutionnel,
ont reçu l'appui du département d'Etat américain et aussi de quelques
gouvernements européens. Ils en appellent à des méthodes
violentes, obligeant les commerces à fermer de façon autoritaire ou cherchant
à " acheter " des dirigeants militaires. Les médias, quant à
eux, ont développé une véritable guerre psychologique contre
la population, manipulant et déviant son aspiration au changement.
Chávez n'aurait donc aucune responsabilité ?
Carlos Pino. En dépit de son caractère abrupt, ce qu'il
reconnaît lui-même, la seule responsabilité que je lui connaisse est d'avoir
mis en place en place un processus de transformation sociale, démocratique,
et permettre ainsi à des millions de gens de vivre dans un pays souverain
et prospère. Cette prise de conscience est intolérable pour ceux
qui voient leurs privilèges touchés. Je voudrais aussi écarter
un autre cliché, celui " de populiste " qui colle à la peau de Hugo
Chavez parce qu'il est un militaire. C'est deux poids, deux mesures. Pour Washington,
notamment, il y aurait les bons militaires, c'est-à-dire les amis et les
autres, les mauvais. En vertu de ce cliché où se situe Colin Powell
?
Entretien réalisé par B. D.
source : http://www.humanite.presse.fr/journal/archives.html