Un entretien avec le
président vénézuélien Chavez:
Chavez: "Pas de guerre civile, mais..."
Le
Nouvel Observateur. Semaine du jeudi 26 décembre 2002 - n°1990
Né dans une
famille d’instituteurs, le colonel Hugo Chavez, 48 ans, est devenu célèbre
en 1992 en prenant la tête du coup d’Etat manqué contre le président
Carlos Andrés Pérez, déchu l’année suivante pour corruption.
Après avoir purgé une peine de deux ans de prison, il a été
élu triomphalement chef de l’Etat en 1998, et réélu en juillet
2000 – pour six ans – en promettant de mettre en œuvre sa "révolution
bolivarienne", "troisième voie" entre le communisme et le
"capitalisme sauvage".
N. O. – En 1998
puis en 2000, les Vénézuéliens ont cru en votre programme
de réduction de la pauvreté et de lutte contre la corruption. Beaucoup
semblent déçus…
Hugo Chavez. – Il
est encore trop tôt pour faire un bilan. Vous savez, j’ai pensé que
j’allais mourir le 12 avril dernier après le coup d’Etat contre moi. L’ordre
avait été donné que je ne sois plus en vie le 13 avril. On
m’a conduit dans une petite île caraïbe, mais les soldats ont refusé
de m’exécuter. Puis, sous la pression d’une partie de l’armée et
du peuple, je suis revenu à Caracas. Je suis sorti plus fort de cette épreuve
et toujours fidèle aux espoirs de mon peuple. Mais j’ai réalisé
que j’avais commis des erreurs. Les juges que j’avais nommés à la
Cour suprême, sur les conseils de certains de mes amis, ont absous les "golpistes"
d’avril. Forts de cette impunité, ces derniers ont réussi à
se réorganiser, ils occupent la plaza de Francia et appellent tous les
jours à manifester contre moi. Dans n’importe quel pays où existe
une véritable justice, on n’en serait pas là. Certains de nos députés
nous ont trahis, laissant un champ de mines derrière eux. Je n’ai pas vu
que les directeurs des médias privés, à qui j’avais fait
confiance, avaient des intentions cachées et ne pensaient qu’à préserver
leurs privilèges. Quand je suis revenu au pouvoir le 14 avril, je n’avais
pourtant aucun désir de vengeance. Au contraire : j’ai déclaré
que je voulais rectifier mes erreurs. J’ai appelé au dialogue. Mais les
médias, au lieu de nous aider, ont nourri l’intolérance. Vous savez,
ce n’est pas le peuple, ce ne sont pas les classes moyennes qui font preuve d’intolérance.
Ce sont les privilégiés, qui ont une conception féodale de
l’économie du pays. Ils disent que je suis un singe, que je suis laid parce
que j’ai une verrue sur le visage, que je suis un fils de paysans qui ne parle
pas l’anglais. Quand un ministre monte dans un avion de ligne, les grands bourgeois
tapent sur leur tasse avec leur cuiller. Mes supporters me demandent d’être
plus dur. J’essaie de ne pas répondre à l’agression par l’agression.
N. O. – Vous ne croyez
pas au risque de guerre civile ?
H. Chavez. – Non.
Tous les ingrédients sont réunis pour une guerre civile – il y a
eu un coup d’Etat, une partie de l’état-major a participé à
ce coup d’Etat, l’armée est divisée –, mais je crois que l’on peut
encore éviter la guerre civile. En fait, il n’y a eu de la violence que
lorsque l’opposition a voulu faire couler le sang. Mais il y a un risque. Si,
par exemple, j’étais assassiné, il y aurait des débordements
et ce pourrait être la guerre civile. Alors je me protège. Pour le
reste, je n’ai pas l’intention de recourir à l’Etat d’exception. Les lois
du travail et celles sur la sécurité et la défense suffisent.
N. O. – Comment voyez-vous
la fin de cette crise ?
H. Chavez. – Il
y aura probablement un référendum de "révocation"
en août prochain. Il est prévu par la nouvelle Constitution. On peut
désormais demander au peuple, à mi-mandat, s’il est d’accord pour
que le président reste en fonction. L’opposition dans ces conditions n’a
besoin que de 3 millions de voix plus une pour me chasser. Je l’ai dit à
ses dirigeants : acceptez le référendum plutôt que de mettre
au point des scénarios de guerre. Vous savez, ce n’est pas Hugo Chavez
que le peuple défend, mais le projet politique qu’il soutient. (Hugo
Chavez sort d’une poche de sa chemise le petit livre bleu de la Constitution et
il le brandit.) Le peuple ne veut pas que l’on touche à sa Constitution.
N. O. – Quel rôle
jouent selon vous les Etats-Unis dans la crise vénézuélienne
?
H. Chavez. – Lorsque
je constate que la seule solution à la crise qui m’est suggérée
est l’organisation d’élections anticipées, j’en déduis qu’il
règne une certaine confusion à Washington puisqu’on m’incite à
violer la Constitution ! Il se trouve en effet que notre Constitution ne prévoit
pas la possibilité d’élections anticipées, mais prévoit
en revanche le "référendum révocatoire", auquel
je suis prêt à me soumettre. Cela dit, il y a un changement d’attitude
à Washington, des négociations sont en cours, avec le gouvernement
mais aussi avec des industriels américains qui ont des intérêts
au Venezuela. Les Etats-Unis sont notre principal client et ils commencent à
mieux comprendre la réalité vénézuélienne.
Propos recueillis par
Laurent Bijard
source : http://www.nouvelobs.com/articles/p1990/a30656.html