Le Venezuela paysan
Attac.
Le Grain de sable N° 392 - 31 décembre 2002 . Par Teodoro Guevara et Arturo
Alvarez Vega. Membres de la Coordination nationale du Movimiento Agrario Ezequiel
Zamora (mouvement agraire Ezequiel Zamora , MAIEZ, organisation affiliée
à la Coordinadora Agraria Nacional Ezequiel Zamora, CANEZ).Ils militent
l'un et l'autre depuis plus de 40 ans dans le mouvement paysan vénézuélien.
Extrait de " Vía
Campesina: une alternative paysanne à la mondialisation néolibérale
" (voir informations en fin de l'article)
Venezuela : les lois
sur la terre et sur la pêche, des lois pour venir à bout de la pauvreté
et de la dépendance
Ce bloc de lois, approuvé
par l'exécutif après une intense période de consultations,
d'investigations et de discussions, a soulevé l'ire de petits mais puissants
secteurs du pouvoir économique du pays. Alarmés, ceux-ci se sont
mobilisés pour tenter de pervertir le contenu progressiste et solidaire
de ces mesures et s'opposer à une modernisation de l'appareil économique
; ils en ont fait l'enjeu d'un conflit politique avec pour seule fin de défendre
leurs intérêts particuliers et de perpétuer un système
totalement injuste et irrationnel qui, au cours de ces quarante dernières
années, n'a apporté aucun progrès dans l'économie
et la production nationale. Ces groupes d'opposants furent ceux-là mêmes
qui, durant toute cette période, vécurent grassement de subventions
gouvernementales, sans rendre de comptes à la nation, comblés qu'ils
étaient par des gains faciles.
Aucun doute n'est possible.
Pour le peuple vénézuélien, pour les travailleurs et les
travailleuses, ces lois constituaient un bienfait qui se traduit aujourd'hui par
un ordre juridique plus juste et conforme à la Constitución bolivariana
- approuvée par référendum par une immense majorité
des Vénézuéliens, y compris par nombre d'entrepreneurs honnêtes
qui, en soutenant la production nationale et en s'opposant à l'emprise
réactionnaire des sociétés transnationales, bénéficient
du coup d'une certaine protection de leurs propres investissements.
Les travailleurs et les
travailleuses de divers secteurs ont montré leur appui à ces lois,
entrées en vigueur en novembre 2001. Ils ont infligé un cinglant
démenti au discours du président de la Confédération
des travailleurs du Venezuela et mis à nu autant son peu de représentativité
que l'illégalité de son pouvoir en faisant échec au coup
d'Etat fasciste du 11 avril dernier, dont l'un des buts était justement
d'en empêcher l'application.
Les Lois sur les terres
et sur la pêche
Savez-vous qu'à
elles seules huit familles du pays possèdent conjointement plus de 150
mille hectares de terrains ? Pouvez-vous seulement l'imaginer ? Cela représente
à peu près l'équivalent de dix-huit fois la surface de la
capitale du Venezuela, Caracas, où vivent plus de 4 millions de personnes.
Savez-vous de surcroît que ces immenses biens fonciers demeurent la plupart
du temps non cultivés, alors qu'ils sont situés dans les régions
les plus fertiles du pays ? Eh bien, ce sont ces familles qui ont pris la tête
de l'opposition à la Loi sur les terres et le développement agraire
(Ley de Tierras y Desarrollo Agrario). De plus, il y a lieu de souligner ici que
certaines grandes exploitations, comme par exemple la compagnie de production
de liqueurs Santa Teresa, implantées dans les vallées de l'Aragua,
ne disposent d'aucun titre de propriété sur les terres qu'elles
occupent.
Et l'on pourrait multiplier
les exemples de l'inégale distribution des terres dont la révolution
bolivarienne a hérité. Une grande partie des exploitants ne pouvaient
légitimer leurs possessions, beaucoup de leurs titres de propriété
étant des faux ou résultant de successions provenant de " cadeaux
" offerts par des gouverneurs de province, des présidents d'Etats ou du
président de la République, faits non seulement à l'époque
plus obscure de la fin du 19e siècle, mais longtemps encore au cours du
20e.
Les détenteurs
de terre qui s'opposent à la loi sont les premiers à prétendre
que celle-ci constitue une " offense à la propriété " au
motif qu'elle les oblige à payer un impôt si ces étendues,
parmi les plus productives du pays, restent inutilisées. Or qui sont ces
gens ? Il s'agit de secteurs parasites qui jouissent de revenus facilement acquis
et qui pratiquent l'élevage sur des sols qui conviendraient pourtant tout
particulièrement à l'agriculture, sans même apporter un quelconque
développement à ce domaine d'activités. Ce sont les secteurs
qui profitent de l'agriculture " de port ", qui l'encouragent même, renforçant
du même coup la dépendance agroalimentaire du pays, tout en vivant
de subsides d'Etat dont ils ne rendent aucun compte.
La loi met en place un
ensemble d'avancées qui fortifient le mouvement paysan, la sécurité
agroalimentaire et le développement de l'appareil productif. Elle protège
les paysans pauvres, stimule la formation de coopératives et d'autres formes
de production associatives en les soutenant financièrement et techniquement
et en créant parallèlement les conditions de leur viabilité
économique par la mise en place des voies de transport et de commercialisation
nécessaires.
La Ley de Tierras y Desarrollo
Agrario a permis de lancer un processus de répartition plus équitable
de la richesse agricole en régularisant le partage de la terre entre paysans
par l'intermédiaire de l'Institut national des terres (Instituto Nacional
de Tierras). Elle a redonné à la terre sa fonction sociale et valorisé
son potentiel productif ; elle a stimulé la construction de centres de
population ruraux dotés de services, donnant à leurs habitants accès
à la santé, à l'éducation, à une vie digne.
Ce nouvel instrument légal,
fondamental en ce qui concerne le processus de libération national initié
au Venezuela pas la révolution bolivarienne, vise une harmonisation du
développement agropastoral, la réduction et, à terme, l'élimination
de la dépendance alimentaire, la conservation et la protection de l'environnement,
l'équilibre écologique.
Cette Loi a renforcé
l'organisation, la mobilisation et la participation du mouvement paysan et des
populations rurales, qui représentent entre 12 et 15 % de la population
du pays. Elle ouvre une contradiction fondamentale entre, d'une part, les intérêts
du pays, son indépendance, sa souveraineté, ainsi que les droits
et les aspirations légitimes des campagnes et, d'autre part, les intérêts
mesquins des latifundistes et autres accapareurs de terre. Ce qui est en jeu est
la récupération de la fonction sociale de la terre, la poursuite
de la lutte pour l'égalité et la justice entreprise par Ezequiel
Zamora, surnommé par ses successeurs " le Général du peuple
souverain " (el General del Pueblo Soberano) et dont les consignes étaient
: " Terre et hommes libres, respect du paysan et élimination des usurpateurs
et nobliaux ".*
Cette Loi va de pair avec
celle sur la pêche (Ley de Pesca y Acuacultura)**, entrée en vigueur
conjointement, afin d'actualiser les politiques et législations étatiques
dans ce domaine. Elle réglemente l'exploitation halieutique en protégeant
le milieu naturel, en favorisant les pêcheurs artisanaux et en imposant
des limites à la pêche industrielle (fixées à six mille
marins des côtes maritimes et à dix mille des côtes insulaires),
ce qui a pour effet de réduire au maximum les dommages à l'écosystème
marin et de garantir aux petits pêcheurs des possibilités réelles
de développement et de productivité.
La Loi sur la pêche
stipule une protection sociale obligatoire pour les marins embarqués sur
les barques de pêche, la reconnaissance des droits sociaux et du travail
dans ce secteur où traditionnellement les travailleurs étaient surexploités
et sans protection. Elle prévoit un ensemble d'amendes et de sanctions
en cas d'infractions commises par les industriels et supprime la réelle
impunité dont jouissaient auparavant ces derniers, lorsqu'ils pénétraient
dans les zones de pêche réservées aux artisans, détruisaient
leurs instruments de travail ainsi que les milieux marins, et n'avaient à
payer que des amendes dérisoires. Elle permet de plus de briser les filières
d'intermédiaires et de rabaisser le prix des produits marins pour les consommateurs.
Le mouvement paysan
Avant la tentative de coup
d'Etat du 11 avril 2002, la vieille oligarchie du pays avait déjà
entrepris de s'opposer à l'application de la Loi sur les terres en utilisant
tous les moyens légaux et illégaux imaginables et en exerçant toutes
les pressions possibles sur le gouvernement.
La remise des premiers
titres de propriété s'accompagna des premiers attentats contre le
mouvement paysan : Luis Mora, président du Bloc révolutionnaire
de la région dénommée Sur del Lago, dirigeant et combattant
de pointe de la cause paysanne qui travaillait à la mise en place des instruments
de politique agraire régionaux, fut lâchement assassiné par
des tueurs à gage le 10 janvier 2002, devant son fils de onze ans. Cet
événement se produisit à peine quelque heures après
un autre attentat, perpétré celui-ci à Macaraibo, contre
José Huerta, à la fois ancien délégué de l'Institut
agraire national (Instituto Agrario Nacional) et collaborateur du Ministère
de l'agriculture, militant et dirigeant paysan et membre du Comité central
du Parti communiste du Venezuela. D'autres leaders paysans ont également
reçu des menaces de mort. Quant aux industriels de la pêche, ils avaient
convoqué à une manifestation lors de laquelle ils avaient professé
qu'on s'acheminait vers une pénurie de produits maritimes.
Tous ces efforts s'avérèrent
vains. Le mouvement paysan continue à progresser en termes d'organisation,
de formation et d'articulation à l'échelle nationale ; l'application
des lois précitées se poursuit ; les mouvements populaires sont
désormais traités en partenaires par le Ministère de l'agriculture
et par l'Institut national des terres qui leur reconnaissent une voix décisionnelle
dans la politique de développement agricole et de sécurité
alimentaire.
Larges mobilisations
paysannes face au coup d'Etat
Si quelques-uns signalent
un certain désenchantement parmi les couches populaires, suite à
une politique trop conciliante à leurs yeux du Président Chavez
face à la bourgeoisie au cours des trois années précédant
la tentative de coup d'Etat du 12 avril 2002, les reporters de la presse de gauche
sont unanimes à souligner le rôle décisif joué par
la campagne, aux côtés des ouvriers et des pauvres de la capitale,
dans l'échec du golpe.
Andry McInerny, dans Mundo
Obrero (New York) du 2 mai 2002, écrit que les 13 et 14 avril " des centaines
de milliers de travailleurs et de paysans se sont dressés dans tout le
pays pour faire échec au coup d'Etat ". " Des paysans de toutes les régions
du Venezuela ", poursuit-il, " se sont massés dans des autocars en direction
de Caracas pour protester contre cette tentative ".
Desde Abajo, périodique
indépendant de la Colombie voisine, note également que " marchant
vers la capitale, des milliers de paysans, bénéficiaires de la réforme
agraire, se mobilisèrent spontanément " (10e année, No 67,
mai 2002).
Perspectiva Mundial (New
York, Vol. 26, No 5, mai 2002) insiste de même sur le " facteur décisif
constitué par l'intervention des travailleurs et des paysans dans l'échec
du coup d'Etat "...
Le mouvement paysan a joué,
aux côtés d'autres secteurs sociaux, un rôle décisif
dans les journées du 12, 13 et 14 avril 2002. Il poursuit la révolution
bolivarienne en exerçant les pressions nécessaires pour débusquer
ceux qui la sabotent et en trahissent les objectifs et se bat pour que les aigrefins
qui tentent d'organiser des groupes paramilitaires, de terroriser le mouvement
paysan et de contrecarrer le mouvement révolutionnaire, notamment dans
la zone frontière avec la Colombie, soient poursuivis en justice et châtiés.
La coordination internationale
des paysans vénézuéliens avec les autres mouvements paysans
progressistes et révolutionnaires du monde (comme la Vía Campesina)
est une nécessité impérieuse en cette période d'aiguisement
des contradictions au Venezuela ; elle permettra au mouvement révolutionnaire
bolivarien de mieux définir et délimiter ses objectifs et de renforcer
son action face à l'ennemi intérieur qui, quoique affaibli, réagit
de façon aussi désespérée qu'extrêmement dangereuse
et qui peut compter sur l'appui économique et politique du principal centre
de pouvoir dans le monde, l'impérialisme nord-américain.
Le processus révolutionnaire
bolivarien a entamé une marche qui devrait l'amener à rendre au
peuple ses droits et à satisfaire ses revendications bafouées par
les " laquais de l'impérialisme ", selon l'expression consacrée.
Parmi ces droits se trouvent en bonne place ceux pour lesquels lutte le mouvement
paysan. Celui-ci se situe aux avant-postes du combat pour consolider et approfondir
le processus révolutionnaire vénézuélien ; il est
appelé à jouer un rôle de premier plan dans le renforcement
et le développement des luttes populaires en Amérique latine et,
plus généralement, du mouvement de luttes contre la mondialisation
néolibérale.
POUR CONSULTER LE TEXTE
DES LOIS MENTIONNÉES: www.pantin.net/leyes.htm (En espagnol). Contact pour cet
article. CETIM cetim@bluewin.ch " Vía Campesina: une alternative paysanne
à la mondialisation néolibérale. " Introduit par Rafael Alegria
et Paul Nicholson. Postface de Jean Ziegler. Textes réunis par le CETIM
en collaboration étroite avec Vía Campesina. CETIM - Centre Europe-Tiers
Monde 6, rue Amat, CH-1202 Genève Tél.: (41) (22) 7315963 Fax: (41)
(22) 7319152 www.cetim.ch
source : http://attac.org/indexfr/index.html