Pourquoi CNN agresse
le gouvernement vénézuélien?
Par Heinz
Dieterich Steffan, Rebelión, 28.12.02.
RISBAL,
Belgique..
L'agression médiatique
prolongée de la transnationale étasunienne CNN (Cable News Network)
contre le processus bolivarien est due à quatre facteurs:
1- les
intérêts et les réseaux économiques, politiques et
académiques internationaux du magnat anti-chaviste vénézuélien
Gustavo Cisneros et d'autres membres de l'oligarchie vénézuélienne,
comme l'ex-président de PDVSA [l’entreprise pétrolière
publique vénézuélienne, NdT], Luis Giusti, qui, en 1998,
a voulu privatiser l'entreprise et est, de nos jours, conseiller sur les questions
énergétiques du président George W Bush;
2- la vente de CNN à la transnationale Time Warner, Inc.
en 1996, et la fusion ultérieure avec America Online (AOL), en 2001;
3- la subordination inconditionnelle de CNN au projet de Nouvel
Ordre Mondial de George W.Bush, Donald Rumsfeld et Dick Cheney, après le
11 septembre et;
4- L'état
professionnel déplorable de ses journalistes, modérateurs et de
commentateurs.
Contrairement à
la mythologie néo-libérale, nombreux sont les négoces de
l’économie globale qui ne résultent pas d’une meilleure
position de compétitivité sur le marché, mais sont le fait
de l’intégration de l'élite économique à des
réseaux informels de pouvoir et de trafics d'influences. C'est sur cet
aspect, plus que dans celui simplement économique, que le pouvoir du Groupe
Cisneros et de son Chief Executive Officer (CEO, chef exécutif) Gustavo
Cisneros, est redoutable et lui permet d'influencer la politique nationale et
internationale, comme le révèlent les données suivantes sur
sa participation à des réseaux académiques, économiques
et politiques de l'élite dominante globalisée.
Cisneros est membre de
conseils d’assesseurs de plusieurs universités d'élite étasuniennes,
parmi elles: l'Université de Columbia, à New York et le Collège
Babson; le David Rockefeller Center for Latin American Studies de l'Université
de Harvard, à Boston et le conseil d'administration du Joseph H. Lauder
Institute of Management and International Studies de la prestigieuse Wharton School
of Economics de l'Université de Pennsylvanie, à Philadelphie.
Cisneros appartient aussi
au groupe d’assesseurs du Council on Foreign Relations à New York,
le think tank le plus important de l'establishment libéral du grand capital
étasunien; il est aussi membre de la Information & Communication Technology
(ICT) Task Force des Nations Unies, du World Business Council du Forum Économique
Mondial (WEF, sigles en anglais) et participe au Conseil International des assesseurs
de l’influente The Americas Society. Au sein de cette association "sans
but lucratif", on trouve aussi David Rockefeller et le chef d'entreprise
des médias, le chilien Agustín Edwards.
Edwards a un intérêt
particulier car il a été une des pièces clef de la conspiration
contre le gouvernement constitutionnel de Salvador Allende. En fait, il joua le
même rôle dans la destruction
de l'Unité Populaire chilienne que celui que joue Cisneros au Venezuela.
En profitant de ses bonnes relations avec l'ambassade de Washington à Santiago
du Chili et avec les secteurs de l'élite patronale étasunienne;
en recevant plus de 1,5 million de dollars de la Central Intelligence Agency (CIA)
des Etats-Unis, "le Mercurio et d'autres médias soutenus par l'Agence
ont joué un rôle important dans la mise en place des conditions pour
le coup d’Etat militaire du 11 septembre 1973", a affirmé un
rapport du Sénat étasunien en 1975.
Quand l'ambassadeur étasunien
Edward Korry a communiqué à Edwards qu'Allende gagnerait les élections
nationales de septembre 1970, le chef d'entreprise se réunit aux Etats-Unis
avec le président de la transnationale Pepsi-Cola, un de ses amis personnels,
Donald Kendall, pour définir les stratégies nécessaires pour
détruire Allende. Kendall - qui - comme les représentants du grand
capital et les mécène du Parti Républicain en général
- avait accès direct au Président, organisa pour le 15 septembre
plusieurs réunions, auxquelles participèrent Nixon, Kissinger, le
chef de la CIA, Richard Helms, Agustín Edwards et Donald Kendall. Cette
même nuit, Nixon donna l'ordre à la CIA de détruire le gouvernement
constitutionnel de l'Unité Populaire par un coup d’Etat militaire
ou par tout moyen nécessaire pour atteindre cet objectif.
Durant les trois années
dont l’impérialisme eut besoin pour organiser la sanglante rébellion
des généraux dirigée par Augusto Pinochet, le Mercurio a
utilisé les mêmes techniques qui sont observées aujourd'hui
au Venezuela. Éditoriaux dans la presse écrite, rédigés
par des experts de la CIA ou des journalistes à la solde de la réaction,
répétés une infinité de fois par les stations de radio
et de télévision; appels aux militaires pour mettre fin à
l’ "anarchie" et à la "dictature" du gouvernement;
désinformation et mensonges systématiques pour exciter la population
contre le gouvernement et détruire la confiance dans l’avenir du
pays, etcetera. Pendant que le peuple souffrait de la faim et subissait la terreur
de ces subversifs, Edwards jouissait de son long séjour aux Etats-Unis,
d’une vie de luxe comme vice-président mondial de Pepsi-Cola, courtoisie
de son ami Kendall.
Au niveau politique, Gustavo
Cisneros a eu de bonnes relations avec le Président Ronald Reagan, il a
été invité avec sa conjointe Patricia Phelps à des
festivités; avec le gouvernement de Bill Clinton dont le secrétaire
des Relations Extérieures Cyrus Vance a été l’interlocuteur,
ainsi qu'avec la dynastie Rockefeller et la dynastie Bush, avec notamment l'ex-président
George Bush avec qui il pêche à La Florida et dans les rivières
vénézuéliennes.
Même si son pouvoir
économique est probablement surestimé, puisque dans plusieurs entreprises,
il n’est que copropriétaire, il ne fait guère de doute que
son empire de 70 compagnies dans 39 pays, avec des recettes annuelles supérieures
aux quatre milliards de dollars, a une force considérable, surtout dans
le secteur des médias et de la communication: Direct TV Latin America a
plus de 300 canaux vidéo et audio dans 28 pays; Univisión est la
plus grande chaîne de télévision de langue hispanique aux
Etats-Unis; Venevisión le plus important canal de télévision
vénézuélien et Venevisión International, un des plus
importants du continent américain.
Par le biais d'alliances
stratégiques avec Pepsi-Cola et Coca-Cola, Cisneros s'est transformé
en copropriétaire d'une des plus importantes entreprises de mise en bouteille
latino-américaines, Panamco (1), ayant des sièges à Miami,
Panama et Atlanta, et qui a été vendue en décembre 2002 pour
3,6 milliards de dollars au groupe des Garza Lagüera de Monterrey, au Mexique.
Cisneros a touché 9% du total. En 1997, il lança aussi la Playboy
TV Iberia qui depuis lors "enrichit" le panorama culturel de l'Espagne
et du Portugal avec d’attrayantes lapines dans la style étasunien.
En 1998, Cisneros forma
une alliance (joint venture) avec America Online, Inc. (AOL), d’où
est né l'entreprise America Online Latin America (AOLA) qui offre des services
interactifs, entre autres, au Brésil, au Mexique, en Argentine et à
Puerto Rico. C’est là que l’on croise les réseaux informels
de Cisneros avec CNN, AOL et Time Warner.
L'indépendance de
CNN, le premier canal télévisuel d'information continue, créé
par Ted Turner, prit fin en octobre 1996, quand la Turner Broadcasting System,
Inc. intégra le conglomérat médiatique Time Warner, Inc.,
qui contrôle, entres autres, la revue mondiale Time et la revue d'affaires,
Fortune. La Time Warner fusionna, à son tour, le 11 janvier 2001 avec America
Online qui obtint le contrôle de la majorité des actions. CNN a été
soumise successivement au management et aux actionnaires de Time Warner et, postérieurement,
à ceux d'AOL, avec qui Cisneros a conclu une alliance stratégique
lui offrant les contacts et des relations avec les exécutifs supérieurs
de cette gigantesque transnationale et avec ses homologues européens et
asiatiques, comme en 1999 quand il se réunit avec le président de
la transnationale allemande Bertelsman, le vice-président de la japonaise
Fujitsu et le président de Time Warner, Levine, dans la capitale française.
CNN a été
réduite au statut d’une compagnie ou d’une division de plus
dans la structure corporative transnationale d'AOL Time Warner, Inc. , ce qui
signifie que son taux de profit ne doit pas rester sous celui des autres divisions,
si elle ne veut pas courir le risque d’être transformée ou
d'être mise en liquidation. Cette pression du "marché"
– en fait, des coefficients comparatifs coût/bénéfice
- accélère la chute de CNN comme média d’information
de qualité, une tendance qui reçut son coup de grâce politique
avec la déclaration de "guerre internationale contre le terrorisme"
de George W. Bush, qui a provoqué la soumission ouverte de la chaîne
à la raison de l'État impérial.
Ce double impact économique
et politique a des répercussions de manière dramatique dans le manque
de professionnalisme de l'équipe de journalistes, modérateurs et
"analystes" de CNN en espagnol. Exempts de préparation scientifique,
sans notion méthodologique du concept statistique de la représentativité
- qui est l'axe de tout travail journalistique sérieux - les demoiselles
Ligimat Pérez à Caracas et Gwenda Umaña à Atlanta
sont restées à la merci du sens commun, des préjugés
et des intérêts des classes moyennes locales et étrangères,
quand elles parlent du complexe problème vénézuélien.
Harris Whitbeck, qui, un jour faisait un reportage mal informé depuis Kaboul,
s’est retrouvé expédié d’urgence le jour suivant
à Caracas pour informer sur la problématique bolivarienne, avec
les résultats prévisibles. Lucia Newman, envoyée parfois
par fast track de La Havane à Caracas, est tellement effrayée par
les milieux anti-cubains à Miami qu'elle ne s’écarte pas d’une
virgule de la litanie politiquement correcte. Dans cette équipe, seul Jorge
Gestoso et Patricia Janiot conservent un peu de qualité professionnelle,
l'éthique, quand ils se référent au Venezuela.
Les agressions permanentes
de CNN et des médias espagnols pendant les trois années de gouvernement
de Hugo Chávez, sont les avant-gardes propagandistes de la guerre d'appropriation
économique pour les restes du butin latino-américain, que les amis
néo-libéraux de l'impérialisme étasunien et du sous-impérialisme
espagnol n'ont pas encore pu s’offrir. La perle de ce butin sont les réserves
pétrolières du Venezuela, équivalentes à celles de
l'Arabie Saoudite, et l'entreprise PDVSA, qui possède environ 15.000 stations
d’essence et huit raffineries aux Etats-Unis, en plus des neuf raffineries
en Europe et autant au Venezuela et dans les Caraïbes.
"La perception tue
la réalité", disent les opérateurs du marketing bourgeois
et c’est la prescription que les intellectuels du capital transnational,
les médias, utilisent dans la destruction du projet populaire vénézuélien.
Il y a trente ans, ils reproduisaient comme caisses de résonance les mensonges
des golpistas chiléno-étasuniens contre le gouvernement constitutionnel
de Salvador Allende. Durant les années quatre-vingt, ils répétèrent
l'opération contre le gouvernement constitutionnel sandiniste au Nicaragua
et depuis les années 1990, c’est au tour du gouvernement constitutionnel
de Hugo Chávez.
Rien de nouveau sous le
soleil … du mensonge impérial.
Note du traducteur: (1)
Il est utile d'ajouter que Panamco possède 17 usines de mise en bouteille
en Colombie et que le SINALTRAINAL, le syndicat du secteur alimentaire colombien,
s'est portée partie civile dans la plainte déposée par plusieurs
associations et syndicats étasuniens contre Coca-Cola et son fournisseur
colombien, Panamco Colombia S.A. Cette plainte fait état de mauvais traitements,
enlèvements et meurtres. Plus d'info: http://www.collectifs.net/risbal/col/cocacola.htm
* Traduction (esp-fr):
Frédéric Lévêque, pour RISBAL. Article original : ¿Por
qué CNN agrede al gobierno venezolano?
source : http://www.collectifs.net/risbal/ven/steffan04.htm