"Un
choc d'intérêts manifeste"
L'Humanité,
France - envoyé
spécial - 21 Janvier 2003
Caracas (Venezuela),
Médecin-chirurgien,
Rodrigo Chávez (sans lien de parenté avec le président
vénézuélien) est coordinateur national des cercles bolivariens,
mouvement " chaviste " qui regroupe environ 2,5 millions de personnes.
Il a accepté de répondre aux questions de l'Humanité.
-Depuis décembre
dernier et la grève lancée par l'opposition, le Venezuela vit une
grave situation. Comment l'analysez-vous ?
Rodrigo Chávez.
Ce qui se passe était attendu. Cela n'a rien à voir avec le départ
ou non d'un président. Il y a en présence deux visions, deux idéologies
différentes de la vie, de l'espoir et des processus mis en ouvre. Il y
a un choc d'intérêts évident entre une large frange de la
population qui souffre depuis longtemps et ceux qui ont moulé la société
la laissant inerte, apathique, sans capacité de répondre. Si on
regarde les indicateurs sociaux on s'aperçoit qu'un véritable système
de santé n'a jamais existé. Aujourd'hui 80 % des ressources investies
dans la santé le sont dans le secteur hospitalier, le restant seulement
allant dans la prévention des maladies. Prenez le logement, les constructions
ne répondent qu'à 6 % des besoins par an. Les trois quarts de nos
enfants abandonnent l'école avant quinze ans, 20 % des enfants naissent
de mères âgées de quatorze-quinze ans. Avec 80 % de terres
à vocation agricole nous ne produisons pas d'aliments, l'essentiel de ce
que nous consommons est importé. Les technologies sont inexistantes et
les industries détruites. La PDVSA, la compagnie pétrolière,
s'est autogérée, profitant de la manne des ressources produites,
et ne réinvestit que très peu.
- Mais en trois ans
d'exercice du pouvoir ne pouviez-vous pas agir ?
Rodrigo Chávez.
Si c'était uniquement ça le problème, nous pourrions dire
qu'en trois ans le Venezuela a réussi à intégrer 3,5 millions
d'enfants dans le système scolaire, qu'il y a plus de logements, qu'on
a construit des centres de traitement des eaux, des infrastructures de production
agroalimentaire où le paysan est propriétaire de la terre qu'il
travaille, qu'il a accès au crédit pour faire fructifier son activité.
Nous avons développé les routes et les moyens de communication,
les transports. En trois ans, il y a eu plus de résultats acquis que tout
au long de ces vingt dernières années. Le problème n'est
pas de contrôler, mais ce qui s'impose c'est une prise de conscience sociale.
L'élite, l'oligarchie, continue de s'auto-reproduire et elle considère
qu'elle seule a le droit de gérer le pays. Les organisations de travailleurs
ont renoncé et abandonné le combat pour les prestations sociales
et les droits humains inaccessibles pour l'immense majorité de la population.
Alors oui, en définitive il est préférable de mourir debout
plutôt que de vivre à genoux. Il est impensable que la pauvreté
touche encore 80 % des Vénézuéliens par manque de scrupules
de secteurs minoritaires qui disposent indiscutablement des pouvoirs économiques,
financiers, judiciaires et médiatiques.
- Au côté
des membres de cette élite rassemblés dans l'opposition il y a aussi
les classes moyennes.
Rodrigo Chávez.
Non ! On ne peut pas faire pencher les choses comme ça. Sans doute la classe
moyenne se définit-elle sous l'angle de ses conditions de vie, différente
de celles de l'ouvrier et du bourgeois. Mais dans cet Etat que nous voulons, la
Constitution garantit l'égalité de condition, c'est une obligation
et non le produit des biens du marché. Nous sommes aujourd'hui une société
où un petit secteur de la classe moyenne, et elle semble l'ignorer, a été
grandement affectée par la politique de privatisations et de démantèlement
des services publics de la droite . Ce secteur, de deux à trois millions
de personnes, persiste à croire que ce sont les représentants de
l'oligarchie politique, économique, ecclésiastique qui vont leur
assurer privilèges et changement. Ce n'est pas faisable. Comment croire
à cette double morale d'un pays qui, par ailleurs, a détruit les
entreprises, le système éducatif ou de santé. Il y a, de
ce point de vue, une manipulation médiatique permanente. Je le conçois
néanmoins, nous avons négligé les classes moyennes et devons
redoubler d'efforts pour répondre à leur attente. Pour nous cela
passe par une prise de conscience sociale.
- Alors comment sortir
de l'impasse actuelle ?
Rodrigo Chávez.
L'opposition répète à l'envi que c'est "la faute à
Chávez". Elle n'a pas d'objectifs concrets. Mais elle critique par
ce biais le pas en avant fait par notre pays. Il y a un Venezuela qui lutte pour
la construction d'un état de droit et de justice, d'une démocratie
participative où tous les citoyens sans exclusion sont les acteurs des
changements. Et il y a un autre Venezuela qui refuse d'abandonner ses privilèges.
Si on avait continué comme ça nous connaîtrions une situation
à l'argentine, des fonds de pension plutôt que la sécurité
sociale. Le gouvernement a stoppé cette privatisation. Notre péché
est d'espérer et de lutter pour le futur. C'est un processus révolutionnaire
au sens où nous voulons une transformation des structures de l'Etat. Ce
combat-là doit vraiment être livré dans le respect de notre
identité et de notre souveraineté. C'est là également
où s'impose la nécessité que le monde regarde le Venezuela
avec une vision différente. Nous invoquons la conscience sociale, politique
de l'ensemble des peuples du monde vis-à-vis d'un processus comme le nôtre.
Entretien réalisé
par B. D.
source : http://www.humanite.presse.fr/journal/jour.html