Pleut-il sur Caracas ?
Georges Sarre - POLITIS,
France - 30, janvier, 2003
Georges Sarre est ancien
ministre, maire du XIe arrondissement de Paris et porte-parole du Mouvement républicain
et citoyen. Il analyse la situation au Venezuela et appelle la France à
soutenir son peuple.
Le palais de Miraflores
connaîtra-t-il le sort de la Moneda ? Les similitudes troublantes entre
l'activisme de l'opposition vénézuélienne et la droite chilienne
de 1973 ont de quoi inquiéter les démocrates et les amis politiques
du Président vénézuélien, Hugo Chavez. La grève
du secteur pétrolier rappelle étrangement la grève des camionneurs
à l'origine de la chute de Salvador Allende. La marche des casseroles de
la bourgeoisie de Caracas rappelle celle des dames de la bonne société
de Santiago. Similitudes donc, jusqu'à la caricature, puisque comme les
camionneurs, les employés de PDVSA sont payés pendant la grève
et menacés d'être licenciés s'ils ne la font pas. La droite
vénézuélienne a comme la chilienne, et selon le célèbre
chant des Quilapayun, deux casseroles, une grande qui est pleine et une petite
pour faire du bruit. Si l'Unité populaire d'Allende a connu la fin
effroyable que l'on sait, livrée aux tortionnaires de Pinochet, la situation
à Caracas semble incertaine, même si l'opposition marque le pas.
Il y a en réalité
deux séries de causes à la situation préoccupante du Venezuela,
l'une purement intérieure et l'autre naturellement d'ordre extérieur.
Hugo Chavez a été élu en 1998 président de la République
du Venezuela puis a été réélu en 2000 pour un mandat
de six ans. La politique initiée par Hugo Chavez a d'abord contribué
à rendre aux citoyens vénézuéliens leur pleine souveraineté
en démocratisant le fonctionnement institutionnel du pays, en favorisant
l'émergence d'un pouvoir citoyen permettant de développer
des formes plus appropriées de participation démocratique. Le changement
est donc d'abord démocratique et citoyen. Sa politique est également
une révolution sociale puisque la réforme agraire prévoit
la redistribution des terres non exploitées aux paysans vénézuéliens
et la création d'un impôt sur les terres non exploitées, en
vue de redonner au peuple du Venezuela sa souveraineté alimentaire. Cette
démarche est enfin profondément juste puisqu'elle vise à
rendre aux Vénézuéliens un bien qui est à eux seuls
: le pétrole. L'industrie pétrolière, deux fois plus riche
que l'État, était d'ailleurs en voie de privatisation jusqu'à
la loi sur les hydrocarbures. Dans un pays divisé en une oligarchie toute
puissante et un peuple jusqu'ici tenu à l'écart du pouvoir et des
richesses, dans un pays où les familles les plus riches figurent au palmarès
des familles les plus riches de la planète, une telle transformation, aussi
pacifique soit-elle, ne pouvait pas aller de soi sans rencontrer de fortes oppositions.
Mais comment concevoir un tel déferlement de haine et de mépris
de la part des opposants à Hugo Chavez ? Comment imaginer cette alliance
liberticide des télévisions privées, des dirigeants de l'industrie
pétrolière et des anciens partis discrédités ? Le
plus important patron du pays possède les principales télévisions
du pays, est l'associé de Ted Turner et actionnaire de CNN. Orchestrant
hier la propagande audiovisuelle en faveur du putsch de Pedro Carmona, ci-devant
patron des patrons vénézuéliens, il est le principal
commanditaire des émissions déstabilisatrices qui appellent quotidiennement
au renversement des dirigeants actuels démocratiquement élus. Cette
opposition use sans modération de l'image et de la violence comme lors
du putsch manqué, où les Vénézuéliens assistèrent
stupéfaits à l'arrestation et au semi-lynchage par des policiers
putschistes du député Tarek William Saad, extrait de son domicile
et jeté à coups de pieds dans un fourgon de police. La haine se
manifeste quand l'opposition incite ses partisans des beaux quartiers à
attaquer les résidences des fonctionnaires gouvernementaux ou à
molester leurs occupants. Un nom focalise cette haine : Chavez. Entre eux et lui,
un obstacle : la majorité du peuple. C'est la raison pour laquelle ils
ne veulent en aucun cas d'un référendum ou d'élections, comme
la Constitution leur en donne le droit.
Mais qu'en serait-il si
les oligarques vénézuéliens étaient seuls ? Car ils
ne sont pas seuls… Lors de la reprise du palais de Miraflores par les partisans
d'Hugo Chavez le 13 avril, les gouvernants légitimes eurent la surprise
de découvrir de nombreuses traces des contacts directs établis entre
putschistes et services des États-Unis. Il serait intéressant que
le Département d'État s'explique sur cette question… Bref,
de quel soutien bénéficient les putschistes ? Les États-Unis
n'auraient ils pas changé depuis la chute d'Arbenz au Guatemala ou celle
d'Allende ? Le risque pour les États-Unis est certes double. D'abord, un
Venezuela pleinement souverain risquerait de les priver d'une source proche et
sûre d'approvisionnement en pétrole. Ensuite, la conscience politique
grandissante en Amérique latine risquerait de contribuer à l'émergence
d'un monde multipolaire, dont Brasilia, Caracas et Quito pourraient être
des acteurs à part entière. La question qui nous est posée
est simple : comment aider le peuple vénézuélien à
faire vivre la démocratie ? Il est hautement souhaitable qu'en France des
initiatives larges et fortes soient prises pour informer les Français sur
les réalités de la situation politique au Venezuela et apporter
notre soutien au peuple vénézuélien. Nous ne voulons pas
entendre demain qu'il pleut sur Caracas.
source : http://www.politis.fr/