Alerte
Venezuela !
France 2 ou la complicité par défaut
par Philippe Arnaud -
Action-CRItique-MEDias
, Belgique - 5
janvier 2003
A quoi reconnaît-on
la différence entre l'absence de parti-pris et la désinformation
? A ceci, notamment, que la désinformation consiste en une accumulation
d'omissions à sens unique. Les journaux de France 2 sont, à cet
égard, exemplaires. C'est pourquoi nous publions ci-dessous, avec son accord
et sous forme tribune, une lettre de Philippe Arnaud, Correspondant des AMD de
Tours, datée du 22 décembre 2002.
Chers tous,
Nous avons, à propos
du Venezuela, une occasion de mettre en pratique la surveillance active des médias.
En effet, la couverture journalistique des événements de ce pays
par une chaîne comme France 2 est scandaleuse jusqu'à la caricature
:
1. Nulle part on ne dit
que Hugo Chavez a été élu démocratiquement, avec majorité
assez forte pour être incontestable et assez faible pour être incontestée
(n'en déplaise à beaucoup, la République bolivarienne n'est
pas une république bananière),
2. Nulle part on ne décrit
les griefs contre Chavez (dictature ? corruption ? désastre économique
?) qui motiveraient les manifestations,
3. Nulle part on ne dit
que les manoeuvres pour le déstabiliser ressemblent trait pour trait à
celles qui ont renversé Salvador Allende : sauf qu'ici, en bloquant la
production de pétrole, on paralyse aussi la distribution d'essence aux
pompes, faisant ainsi d'une pierre deux coups : au Chili, il avait fallu, séparément,
la grève des camionneurs ET celle des mineurs de cuivre d'El Teniente (c'est-à-dire
à la paralysie de "la" ressource économique et des transports)
pour étrangler l'Unité Populaire,
4. Nulle part on ne dit
que les Etats-Unis (par Condoleeza Rice) et l'Europe (par José Maria Aznar)
ont approuvé le coup d'Etat avant même que les putschistes aient
prononcé leur premier mot officiel, 5. Nulle part on ne dit que les Etats-Unis
n'ont même pas eu le plus petit mot de protestation contre le putsch d'avril
ou le plus petit mot de félicitation lorsque Chavez est revenu au pouvoir,
et qu'au contraire, ils n'ont fait que réitérer des mots de dépit
et des mots de menace,
6. Nulle part on ne dit
que celui qui a pris le pouvoir en avril (pour moins de 35 heures !) n'était
ni un président à la retraite, ni un ministre au rancart, ni un
général dans la naphtaline, mais le président du MEDEF local
!
7. Nulle part on ne dit
que les putschistes n'ont nullement été inquiétés,
alors que, dans une dictature (comme on s'acharne à nous présenter
leVenezuela sans preuves, et pour cause...), ils auraient été fusillés
ou, au moins, jetés dans un cul de basse fosse,
8. Nulle part on ne dit
que la manifestation qui a remis Hugo Chavez au pouvoir était deux à
trois fois plus forte que celle qui l'en a chassé, et que les classes populaires
sont (et restent) fortement mobilisées en faveur de Chavez,
9. Nulle part on ne dit
que l'O.E.A. (Organisation des Etats Américains) a voté à
la presque unanimité (moins deux abstentions) une motion de soutien à
Hugo Chavez,
10. Nulle part on ne dit
que cette stratégie de déstabilisation s'inscrit dans la programmation
de la guerre contre l'Irak, afin d'assurer la sécurité des approvisionnements
pétroliers en cas d'incendie des puits de pétrole du Proche et du
Moyen-Orient,
11. Nulle part on ne dit
que les images du Venezuela proviennent toutes des médias du pays, entièrement
hostiles à Hugo Chavez, nulle part on ne souligne que les médias
français n'ont pas fait le moindre effort ni pour envoyer un reporter ni
pour chercher l'information auprès de médias alternatifs, au lieu
de se précipiter comme des moutons au Koweït pour voir rejouer L'empire
contre-attaque et (à l'instar de TF1) faire écraser leurs reporters
comme des mouches par les chars américains,
12. Nulle part on dit qu'on
joue sciemment avec l'image du général sud-américain, façonnée
par des décennies de Hollywood, de bandes dessinées et de romans.
Cette image est toujours un mélange, à parts variables, de cruauté,
de couardise et de ridicule. Nulle part on ne cherche à détromper
l'impression fallacieuse que c'est contre ce seul homme (curieusement présenté
sans aucune base sociale) que "tout le peuple" se dresse,
13. Nulle part on ne dit
que la CTV (Confédération des Travailleurs du Venezuela), loin d'être
un syndicat digne de ce nom, est une association pourrie, dont les dirigeants
ont négocié n'importe quoi avec le patronat en échange de
subsides,
14. Nulle part on ne dit
que les attentats commis au début de l'année - et tout de suite
attribués à Hugo Chavez par la droite - n'ont pas été
élucidés du tout, pour le plus grand profit de cette même
droite,
15. Nulle part on ne dit
que l'exigence de la démission de Hugo Chavez est inconstitutionnelle,
de même que l'exigence d'élections anticipées que rien ne
justifie.
Par toutes ces lacunes,
par toutes ces paresses, par tous ces partis pris implicites, France 2 est objectivement
complice du complot contre la République bolivarienne. Elle ne fait d'ailleurs
que reprendre la tradition d'Yves Mourousi qui, le 12 septembre 1973, après
le coup d'Etat de Pinochet, claironna triomphalement sur les ondes : "Chili,
c'est fini !".
Le 22 décembre 2002.
P.S. : France 2, journal
de 13 heures, dimanche 5 janvier, par la voix de Béatrice Schönberg,
un flash sur le Venezuela de quelques secondes (peut-être une vingtaine),
illustré d'images télé assez floues, le cameraman ayant eu
l'air de se trouver dans des mouvements de foule. La luminosité était
faible, les plans plutôt brefs (quelques secondes) et la plupart des scènes
figurant des poursuites, des courses en tous sens, des bastonnades baignées
dans une lumière gris-vert. Il était question de manifestations
contre Chavez, et, à la fin, d'une manifestation pour Chavez. On y parlait
aussi de l'enterrement d'un mort (sans savoir de quel côté il était)
ni qui manifestait à l'occasion de ces funérailles. L'impression
laissée est qu'il y avait du bordel au Venezuela, et que ce bordel, volontairement
ou non, venait du gouvernement, soit que ce dernier l'ait lui-même suscité,
soit qu'il n'ait rien fait pour l'empêcher, soit qu'il ait été
incapable d'agir. Rien de changé : la chaîne, en ne prenant pas parti,
prend parti. Il ne fallait pas attendre autre chose de Béatrice Schönberg
: des sujets plus brûlants (météo, marée noire, Côte
d'Ivoire, Irak, événements sportifs, plus grosse courge cultivée
en Vaucluse) passent et passeront encore avant le Venezuela. (Philippe Arnaud)
source : http://acrimed.samizdat.net/article.php3?id_article=863