Un pieu au coeur de
la démocratie
Par Larry Birns. Directeur de Conseil pour les Affaires Hémisphériques
Traduction. Odile Bouchet
et François Laviolette. coorditrad@attac.org traducteurs bénévoles
ATTAC - Le
Grain de sable N° 396 - Mardi 14 janvier 2003
Les auto-proclamés Démocrates
plantent un pieu au coeur de la démocratie. La fin peut ne pas être loin.
Une classe moyenne, historiquement
plus connue pour sa vénalité que pour son engagement envers la démocratie, et
qui, pendant des décennies, a appuyé les corruptocraties conduites par les leaders
sans scrupules d'AD et Copei, en est à sa quatrième grève générale, qui ne cherche
ni à mettre en avant un point de vue ni à réformer le gouvernement, mais à le
faire tomber, ce qu'elle a déjà tenté en avril passé. Sa dernière tactique est
d'invoquer un article de la Constitution qui permet aux vénézuéliens de " désavouer
n'importe quel régime, loi ou autorité qui enfreint les valeurs, les principes
et les garanties démocratiques ou qui viole les droits de l'homme. " Les arguments
de cette opposition s'effondrent devant la réalité ; Chávez n'a pas violé les
droits de l'homme, et les principes de la démocratie n'ont pas été " enfreints
" par les autorités. Celle qui, faisant sienne l'idée que " la fin justifie les
moyens ", a eu des exigences erratiques et irrationnelles, celle qui a invoqué
le totalitarisme pour exiger des militaires qu'ils remplissent " leur mission
" de renverser Chávez, c'est l'opposition, qui en ce moment menace les bases démocratiques
du pays.
Ce qui est en jeu
Il est indubitable que
Chávez a été une figure controversée, problématique et combative, mais il s'est
tenu aux règles du jeu démocratique bien plus que ne l'a fait l'opposition. Ses
multiples erreurs ont été plus stylistiques que substantielles. Mais si Chávez
est renversé dans les jours qui viennent - ce qui n'est pas improbable - la tragédie
sera bien plus grande pour le présent et le futur du Venezuela que pour Chávez.
Les Vénézuéliens pauvres, les Vénézuéliens réellement patriotes se souviendront
de Chávez comme d'un leader qui s'est battu pour eux - pas toujours avec sagesse
mais toujours dans la meilleure des intentions - et non pour son bénéfice personnel.
L'arme offensive avec laquelle l'opposition a attaqué Chávez est le produit d'arguments
tendancieux et fallacieux, d'objectifs d'intérêts personnels et d'attitudes vénales,
tout comme d'une interprétation fausse de la Constitution et d'une série de justifications
frauduleuses pour couvrir des intérêts particuliers.
Une recherche détaillée
sur l'affrontement entre Chávez et l'opposition donnerait comme résultat que c'est
cette dernière qui essaie de bloquer les négociations encouragées par l'OEA. C'est
aussi l'opposition qui appellent les militaires à la mutinerie. C'est l'opposition
qui utilise son contrôle presque total des médias pour diffuser une information
fausse et une interprétation tout à fait incendiaire et partiale des faits. C'est
l'opposition, et pas le gouvernement, qui risque la vie des Vénézuéliens en encourageant
les affrontements de rue et c'est l'opposition qui alimente la guerre de classes
et la haine entre pauvres et riches.
L'histoire derrière
l'histoire
Fondamentalement, l'opposition
craint un ensemble de lois réformistes qui comprennent un programme de réforme
agraire dans lequel les parcelles inexploitées ou trop vastes peuvent être transférées
à des petits propriétaires. En ce moment, 41% de la terre cultivable est entre
les mains de moins de 5% de la population. Et, selon la Commission Economique
pour l'Amérique Latine de l'ONU, le Venezuela a l'une des distributions des richesses
les plus inégales de toute la région. Les analyses démographiques démontrent que
de ses 23 millions d'habitants, 80% sont pauvres ou vivent sous le seuil de pauvreté.
C'est cette couche sociale qui soutient majoritairement Chávez. Et ce sont ces
gens qui ne vont pas renoncer facilement aux modestes réformes mises en place
durant sa présidence. Des réformes qui ont procuré du lait et un repas de midi
aux enfants dans les écoles, des micro-crédits à d'humbles chefs d'entreprises
et des programmes de construction urbaine et rurale à tout le pays.
L'opposition soutient
que Chávez fraternise avec des terroristes, mais la vérité, c'est que Chávez,
comme ses prédécesseurs, s'est réuni avec ses collègues de l'OPEP pour discuter
des prix et des normes de production. L'opposition réitère qu'il existe une alliance
occulte entre Chávez et Castro, mais n'en montre jamais les preuves, ne précise
pas ses accusations et ne présente même pas d'arguments pour étayer ce qui n'est
que pure propagande. L'opposition parle de corruption autour de Chávez, mais ne
mentionne jamais les accusations contre les personnages les plus controversés
et douteux de la chambre de commerce et d'industrie, du mouvement syndical et
des médias. Personne ne précise non plus que l'immense majorité des fonctionnaires
de l'asphyxiante bureaucratie vénézuélienne ont été nommés par des gouvernements
antérieurs, et que la majorité de ces employés sont dans l'opposition.
Une solution à la crise
de gouvernement au Venezuela devra être le résultat de l'adhésion à la Constitution,
et non pas le résultat d'une agitation de rue ou d'une confrontation armée. Les
institutions fondamentales du Venezuela sont mises en grave danger par une série
d'évènements. Une solution qui ne suivrait pas le mandat de la constitution saperait
les perspectives de paix, de stabilité et de continuité du civisme politique qui
est dans la ligne traditionnelle du Venezuela.
Il peut y avoir une issue
pour les Vénézuéliens de bonne volonté. L'opposition pourrait attendre jusqu'en
août, puisque la Constitution, dont ils disent qu'elle est " enfreinte ", permet
un référendum pour décider si Chávez doit ou non finir son mandat. L'Assemblée
Nationale pourrait mettre en place une procédure pour convoquer des élections
avant 2006, ou peut-être même avant août. Un triomphe possible de l'opposition
peut et doit venir du respect de la loi, et non de l'extorsion, ou de la manipulation
du pouvoir financier et médiatique d'une minorité.
Résoudre les problèmes
du Venezuela au moyen de la menace d'incinérer ses institutions politiques et
financières nous rappelle ce qui s'est passé au Chili en 1973. A ce moment-là,
le Parti Démocrate Chrétien a commis l'imprudence de se servir des militaires
pour en finir avec Allende, et a obtenu pour résultat, non pas le pouvoir qu'il
souhaitait, mais 17 ans de répression brutale sous Pinochet.
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